Un constat indéniable : la fracture de l’accès aux soins s’accentue avec l’âge

À partir de 65 ans, l’état de santé général se complexifie : selon la DREES, 51% des plus de 65 ans vivent avec au moins une maladie chronique. Or, plus la dépendance et les pathologies augmentent, plus l’accès aux soins se heurte à une série d’obstacles, qu’ils soient géographiques, économiques ou organisationnels. C’est ce que pointent régulièrement les études de l’INSEE et de la Haute Autorité de Santé (HAS).

  • Chiffre clé : 19% des plus de 75 ans déclarent avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons de coût, d’éloignement ou de manque de spécialistes, selon le Baromètre santé 2021 de Santé publique France.
  • L’âge et le cumul des difficultés : Les seniors habitant en zone rurale ou périurbaine sont deux fois plus nombreux à devoir attendre plus de 15 jours pour obtenir un rendez-vous médical, souligne la Mutualité Française.

Les « déserts médicaux » : un frein grandissant

La répartition inégale de l’offre de soins – pointée du doigt par la Cour des Comptes dans son rapport de 2022 – nourrit la notion de « désert médical ». Celle-ci ne concerne pas seulement la campagne profonde : de nombreux quartiers populaires en zone urbaine font également face à un déficit de professionnels.

  • Près de 8 millions de Français vivent dans une zone sous-dotée en médecins généralistes (source : Ordre des Médecins, 2023). Parmi eux, une proportion notable de personnes âgées, qui, sans moyens de transport individuel, voient leur autonomie restreinte.
  • Le cas des spécialistes : 45% des personnes âgées ayant besoin d’un ophtalmologiste doivent patienter plus de trois mois pour un rendez-vous, selon UFC-Que Choisir.

Le manque de mobilité – pour cause d’arthrose, perte de permis, éloignement du réseau familial – et le déficit d’alternatives locales rendent chaque déplacement complexe. Le système du médecin référent, censé assurer un suivi, bute sur l’indisponibilité grandissante de praticiens acceptant de nouveaux patients âgés.

Inégalités sociales et financières : les seniors pas tous logés à la même enseigne

Contrairement à certaines idées reçues, tous les retraités ne bénéficient pas de moyens confortables ou d’une complémentaire santé haut de gamme.

  • Selon la DREES, en 2021 : 12% des plus de 65 ans n’ont pas de mutuelle ou disposent d’une couverture très limitée.
  • Les dépassements d’honoraires, surtout en ophtalmologie, dermatologie ou cardiologie, constituent un vrai filtre pour le budget des ménages âgés.
  • Les soins dentaires ou auditifs sont régulièrement cités parmi les renoncements pour raisons financières, malgré le « 100% santé » (source : France Assos Santé).

À noter aussi que la compréhension et la maîtrise des dispositifs parfois complexes (complémentaire santé solidaire, prise en charge ALD, etc.) posent des problèmes à ceux qui ne disposent pas d’un accompagnement administratif ou familial.

Numérique et téléconsultation : nouveaux espoirs ou nouvelles barrières ?

Le déploiement accéléré de la téléconsultation, vanté comme levier d’accès aux soins, questionne chez les seniors. Si 61% des 55-74 ans disposent d’un smartphone (source : Baromètre du numérique 2023 de l’ARCEP), seuls 20% déclarent être à l’aise avec les démarches en ligne liées à la santé.

  • Les avantages : consultations rapides, éviter un transport fatigant, accès à certains spécialistes rares.
  • Les limites : fracture numérique, difficultés d’usage, absence d’examen physique, problème d’accompagnement pour les personnes isolées.

Le rapport 2022 du Défenseur des droits alerte sur la nécessité d’accompagner les personnes âgées dans le passage au tout-numérique. Sans ce soutien, la téléconsultation risque d’exclure les moins technophiles et d’aggraver les inégalités.

Accessibilité physique et organisation des soins : une logistique à réinventer

Au-delà de la seule question du médecin, le « chemin de soin » est semé d’embûches :

  • Transports adaptés : l’accès aux taxis conventionnés, ambulances et VSL (Véhicules Sanitaires Légers) est parfois entravé par des démarches administratives complexes ou la pénurie de prestataires dans certaines régions (source : CNSA).
  • Accessibilité des cabinets (escaliers, absence de rampe, tables d’examen non adaptées) continue de poser question malgré la loi handicap de 2005.
  • Délai de prise de rendez-vous, coordination avec les auxiliaires de vie ou l’aide familiale.

De nombreux professionnels commencent toutefois à adapter leurs pratiques : consultations à domicile, relais avec les infirmiers, systèmes mutualisés de transport, associations d’accompagnement. Des solutions qui peinent néanmoins à répondre à la demande dans leur diversité.

Soins de prévention : encore trop souvent le parent pauvre

Une spécificité française : la prévention chez les seniors est en retrait, quand on sait qu’anticiper une perte d’autonomie ou un problème de santé réduit radicalement le recours aux soins lourds. Or, moins de 30 % des plus de 65 ans se rendent aux bilans de santé gratuits proposés par l’Assurance Maladie (source : Assurance Maladie, 2023).

  • Vaccinations (grippe, pneumocoque, z zona) : taux de couverture inférieur à celui observé chez les voisins européens, selon Santé publique France.
  • Accès à des ateliers d’équilibre, de mémoire, ou à la nutrition : limité en zone rurale, alors que la France vieillit (plus de 21% de la population aura plus de 65 ans dès 2030, INSEE).

Quelques pistes et initiatives inspirantes

  • Développement de centres de santé pluridisciplinaires dans certaines régions : regroupant médecins, dentistes, infirmiers à proximité directe des patients. Le Maine-et-Loire ou la Haute-Vienne illustrent cette dynamique.
  • Espaces « France Services » : accompagnent gratuitement pour prendre des rendez-vous, remplir les dossiers, comprendre ses droits (source : Service-public.fr).
  • Actions de médiation avec des « patients partenaires » pour expliquer le parcours de soins et rompre l’isolement (Lyon, Strasbourg).
  • Initiatives associatives comme « Les petits frères des pauvres », organisant des accompagnements et des transports solidaires pour les rendez-vous médicaux.

L’avenir : miser sur la proximité et la coopération

Face à la complexification de l’accès aux soins avec l’âge, la solution ne réside ni dans la nostalgie d’un système saturé, ni dans une numérisation forcée. Ce sont des réponses de terrain, centrées sur la proximité, la formation des professionnels à la compréhension des besoins spécifiques des personnes âgées, et la coopération entre acteurs qui dessinent la voie d’une santé plus égalitaire.

S’il reste des défis majeurs, des territoires montrent que l’audace, la solidarité locale et l’innovation organisationnelle peuvent atténuer la fracture de l’accès au soin. Restera à garantir que chacun, quel que soit son âge ou son lieu de vie, ne soit jamais mis de côté du système de santé – parce qu’en matière de santé, la voix des seniors compte autant que toutes les autres.

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