Un marché en pleine maturité : panorama et chiffres clés

Les objets connectés, aussi appelés « IoT » (Internet of Things), ont envahi les appartements, les maisons et jusque dans les poches. Ce secteur qui, il y a dix ans, passait presque inaperçu dans la société, pèse aujourd’hui 22 milliards d’euros rien qu’en Europe, selon l’agence IDC (2023). L’Hexagone n’est pas en reste : près de 38% des Français déclarent utiliser au moins un objet connecté à la maison, d’après l’étude CSA-Orange Labs (2023).

Mais au-delà du simple gadget, certains de ces produits ciblent désormais explicitement les seniors. Le marché des technologies d’assistance à domicile pour les personnes de plus de 60 ans en France est estimé à plus de 2,5 milliards d’euros (source : Silver Valley, 2022). Toujours selon Silver Valley, 53% des plus de 70 ans se disent ouverts à utiliser au moins une solution connectée à condition qu’elle soit simple, utile… et rassurante.

Quels besoins concrets pour les seniors ?

L’attrait des objets connectés chez les seniors n’est ni anecdotique ni artificiel. Selon le Baromètre Santé et Autonomie connectée (Deloitte/Fédération des PSAD, 2023), les principales attentes identifiées sont les suivantes :

  • Rester autonome à domicile le plus longtemps possible (88% des sondés)
  • Être rassuré quant à sa santé ou celle d’un proche (72%)
  • Maintenir le lien social (55%)
  • Se sentir en sécurité, notamment la nuit ou en cas de chute (65%)

Ainsi, la technologie n’est pas recherchée pour elle-même, mais comme outil permettant de répondre à d’authentiques besoins, souvent essentiels au bien-être et à la dignité.

Un univers varié : objets connectés phares pour les seniors

Le panel d’objets et de services connectés pouvant faciliter la vie après 60 ans est vaste : chacun s’adapte à des profils et à des attentes variées.

Les capteurs de sécurité et d’appel d’urgence

  • Montres et pendentifs de téléassistance (ex. : Vitaris, Arkea Assistance)
  • Capteurs de chutes (détecteurs de mouvements intelligents installés dans les lieux de passage, couplés à une alerte automatique)

La santé sous contrôle

  • Tensiomètres, oxymètres, balances connectées (ex. : Withings, Beurer)
  • Glucomètres intelligents capables de transmettre directement les résultats à un professionnel de santé ou à un aidant
  • Médicaments connectés : piluliers électroniques qui rappellent l’heure de la prise et préviennent en cas d’oubli (ex. : Medissimo, Memo Box)

Le maintien du lien social

  • Cadres photos connectés (transmission de photos par la famille en temps réel)
  • Assistants vocaux (Alexa, Google Home), qui permettent d’appeler d’un simple ordre vocal ou d’écouter de la musique, des livres audio, etc.
  • Tablettes et smartphones simplifiés pour personnes âgées (Doro, Facilotab), avec navigation épurée et assistance en temps réel

Selon le rapport France Silver Éco 2023, le « top 3 » des objets connectés préférés des 60-75 ans reste la montre connectée-santé, le pilulier intelligent et les solutions de téléassistance nouvelle génération.

Quid de l’efficacité réelle dans le quotidien ?

Sur le papier, les promesses sont séduisantes, mais une question reste entière : facilitent-ils vraiment le quotidien ?

Pour l’autonomie à domicile

La téléassistance connectée a marqué une véritable évolution. Selon l’ANAP (Agence Nationale d’Appui à la Performance, 2022), plus de 75% des appels d’urgence émis par des seniors équipés reçoivent une intervention dans les 30 minutes. Ce chiffre contraste avec les délais moyens d’alerte sans dispositif, pouvant dépasser 2 à 3 heures lors de chutes isolées et non détectées.

Pour la santé

D’après la même source, l’utilisation de piluliers intelligents a permis de réduire de 31% les oublis ou erreurs de prise de médicaments chez les personnes sujets à polypathologies ou souffrant de troubles cognitifs légers. Ce chiffre rejoint l’étude de la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) montrant que les objets de suivi connectés sont perçus comme « motivants » pour près d’un quart des utilisateurs seniors, favorisant une meilleure observance des traitements.

Pour la vie sociale

L’apport reste plus nuancé. Selon la Fondation Médéric Alzheimer, les tablettes simplifiées ont un « impact positif mais limité » : la mise à disposition d’appareils n’entraîne pas forcément un usage régulier, notamment sans accompagnement au démarrage. En revanche, près de 30% des utilisateurs d’assistants vocaux affirment avoir retrouvé le plaisir de demander une chanson ou de discuter avec un petit-enfant, sans barrière technique majeure.

Les freins : coûts, technophobie et accès à la technologie

Parmi les critiques, trois dimensions se détachent :

  • Le coût : Certains dispositifs dépassent les 300 € à l’achat plus des abonnements mensuels (téléassistance, sécurisation domotique). Si les aides financières existent (ARDH, APA, crédit d’impôt pour adaptation à la perte d’autonomie), leur obtention reste longue et complexe. Exemple : Le pack « autonomie connectée » chez Arkea Assistance coûte 25 €/mois, le pilulier connecté Medissimo plus de 120 € (hors prise en charge) (Source : étude 2023 Que Choisir sur les prix des dispositifs connectés en France).
  • La méfiance technologique : La peur « d’appuyer sur un mauvais bouton », une appréhension répandue selon France Assos Santé (2023), peut vite décourager les nouveaux venus. Sans accompagnement (« prête-moi ton petit-fils pour installer l’appli »), le taux d’abandon à 6 mois culmine à plus de 50%.
  • L’accessibilité numérique : Encore 23 % des plus de 70 ans vivent dans des zones où le haut débit reste instable, freinant la diffusion des outils connectés (source : ARCEP, Baromètre du numérique 2023).

Questions éthiques et protection de la vie privée

L’intrusion d’objets connectés dans la vie quotidienne soulève enfin des interrogations inédites.

  • La collecte de données personnelles sensibles : Qui stocke l’historique de vos chutes, de vos constantes médicales, de vos allées et venues domicile/extérieur ? Quel encadrement en cas de piratage ? Selon la CNIL, seuls 42 % des solutions du marché français offrent des garanties « suffisantes » (source : rapport CNIL 2023).
  • L’autonomie décisionnelle : À partir de quand la surveillance devient-elle intrusive ? Par exemple, certains systèmes peuvent déclencher une alerte à un proche à la première inactivité. Une majorité de seniors interrogés (Baromètre Médéric Alzheimer, 2022) réclame le contrôle explicite (« c’est moi qui décide ce qui doit être partagé »).

Une attention particulière est donc portée à la transparence sur la gestion des données et sur la liberté d’activer ou non certaines fonctionnalités. La labellisation « Silver » de la FNOR (Fédération nationale des offices de retraite) constitue à ce titre un indicateur utile : elle signale un niveau d’exigence élevé concernant l’éthique et la confidentialité, mais seuls 17% des solutions disponibles affichent ce label à ce jour.

Vers une co-conception : les seniors, acteurs de leur technologie

Si le marché observe une explosion de l’offre, la réussite des objets connectés pour les seniors dépend de leur acceptation, mais aussi de leur implication dans la conception. Plusieurs initiatives françaises misent désormais sur la co-création : des groupes de parole, des tests « grandeur nature » en EHPAD ou à domicile, associent de plus en plus les usagers à chaque phase de développement. Le projet européen « Ageing Well in a Digital World », qui implique plusieurs institutions françaises, vise d’ailleurs à ce que chaque nouvel objet soit évalué avec un panel de seniors dès le prototypage.

Un exemple à suivre ? La tablette Facilotab (2023), conçue à Limoges en concertation avec une cinquantaine de seniors participants, a vu son taux d’adoption atteindre 64 % en à peine six mois – contre 23 % pour une tablette classique.

À quoi s’attendre demain ?

Les prochaines années verront certainement l’essor de solutions toujours plus discrètes, intégrées à l’environnement quotidien. Déjà, certains textiles intègrent des capteurs de chute ou de température corporelle (exemple : le projet Textiles Intelligents porté par le CEA-Leti en 2023). L’intelligence artificielle promet également une détection prédictive des incidents domestiques.

Reste à s’assurer que l’innovation ne creuse pas les inégalités et reste une alliée de la liberté, et non une contrainte supplémentaire. Le pari de la technologie inclusive, c’est d’ouvrir la voie à des quotidiens plus sereins, mais c’est aussi de maintenir le choix entre la connexion et la déconnexion, selon ses envies et son rythme.

Sources :

  • Baromètre Santé et Autonomie connectée (Deloitte / Fédération des PSAD), 2023
  • France Silver Éco, rapport sur les technologies seniors, 2023
  • ANAP, télésanté et téléassistance, 2022
  • CNAM, Observatoire Innovation Santé, 2023
  • Fondation Médéric Alzheimer, 2023
  • ARCEP, Baromètre du numérique, 2023
  • Que Choisir, comparatif objets connectés, 2023
  • CNIL, rapport spécial IoT, 2023
  • Silver Valley, panorama de l’économie du vieillissement, 2022

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