Une révolution silencieuse : la place croissante du numérique chez les retraités

Les années 2020 ont vu une accélération numérique inédite dans toutes les sphères de la société, et les seniors n’y font pas exception. Selon le baromètre du Crédoc (2023), 81% des 60-69 ans utilisaient Internet au moins une fois par semaine, un chiffre en constante hausse depuis 10 ans. Loin de l’image des retraités “déconnectés”, on observe une appropriation croissante des outils numériques, des réseaux sociaux aux services administratifs en ligne.

Ce virage digital, largement accéléré par la pandémie de Covid-19, a ouvert de nouveaux territoires d’action. Le télétravail, qui paraissait réservé aux actifs, commence à concerner aussi un public retraité : consultants, formateurs, bénévoles, ou encore “slashers” – ces retraités cumulant plusieurs petites activités à distance. Mais de quelles opportunités parle-t-on vraiment ?

Le télétravail : un complément, voire un prolongement de carrière

D’après la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, 2023), 16% des 60-64 ans occupaient encore un emploi en France – une part qui grimpe à près de 30% dans certains pays européens comme l’Allemagne ou la Suède. Une part non négligeable de ces seniors actifs prolongent leur activité sous des formats innovants, dont le télétravail. Mais pourquoi cette tendance ?

  • Souplesse d’organisation : Les missions à distance permettent de doser son emploi du temps et d’éviter les déplacements, un atout pour des personnes souhaitant concilier vie familiale, loisirs et activité professionnelle.
  • Valorisation de l’expérience : Les secteurs du conseil, de l’expertise ou de la formation sont friands de profils seniors disposant de plusieurs décennies d’expérience à transmettre.
  • Rattrapage de pension : Certains retraités complètent leur pension par de petites missions ponctuelles, parfois dans leur domaine historique, parfois en se réinventant.

En 2022, l’INSEE notait qu’1 retraité sur 5 envisageait de cumuler emploi et retraite, notamment pour garder un lien social et nourrir ses centres d’intérêt (INSEE).

Quelles activités à l’ère numérique pour les retraités ?

Le champ des possibles s’est considérablement élargi. Voici quelques exemples où le télétravail et Internet ouvrent de nouvelles perspectives.

  • Consulting et mentoring à distance : Beaucoup d’organisations cherchent des experts pour des missions ponctuelles, des audits ou de l’accompagnement de projets, sans contrainte géographique.
  • Cours et formations en ligne : Les plateformes comme Superprof ou Le Bon Coin recèlent d’offres de cours particuliers, toutes matières confondues, données en visio depuis chez soi. L’Académie Universelle du 3e âge propose même des modules de formation pour devenir formateur en ligne.
  • Création de contenus et blogging : La rédaction d’articles, la gestion de blogs ou de bulletins d’information spécialisés attirent des seniors passionnés, qui partagent expertise ou retour d’expérience.
  • Modération de forums et de communautés en ligne : De nombreux groupes recherchent des modérateurs bénévoles ou rémunérés pour animer forums, groupes Facebook ou réseaux sociaux.
  • Bénévolat numérique : Association des Petits Frères des Pauvres ou Les Talents d’Alphonse offrent à des retraités d’encadrer à distance des ateliers ou d’aider administrativement d’autres seniors.

Nombreuses plateformes ont vu le jour pour favoriser l’engagement ou le travail à la demande, y compris pour les seniors : seniorsavotreservice.com, Wikijob.fr version “silver”, ou encore coopératives d’activités adaptées comme “Coopaname Silver”.

Des chiffres qui parlent : le boom des seniors “actifs numériques”

En France, l’OCDE estime que 12,3% des 65-74 ans ont déjà eu recours à Internet dans le cadre d’une activité professionnelle ou associative (rapport “Perspectives du numérique”, 2022). Côté Union européenne, 25% des retraités actifs déclarent utiliser au moins un outil collaboratif (visio, partage de documents, messagerie) dans leur quotidien.

Plus frappant encore : dans les zones rurales, les dispositifs d’accompagnement numérique et télétravail ont quadruplé en 5 ans, portés par des tiers-lieux, espaces de coworking ruraux et maisons France Services. Un moyen de lutter contre l’isolement : selon la Fondation de France, 52% des seniors engagés dans une activité à distance témoignent d’un “sentiment d’utilité sociale accru”.

Âge % utilisant Internet pour des activités professionnelles (France, 2023)
55-64 ans 21%
65-74 ans 12,3%
75 ans et + 5%

Ces chiffres, extraits des rapports INSEE et OCDE (2022-2023), montrent une tendance de fond, avec une progression chaque année, portée notamment par les jeunes retraités.

Témoignages et parcours : seniors numériques, portraits d’une génération qui innove

Loin des grands discours, la réalité est aussi celle de parcours individuels remarquables. On citera par exemple Monique, 67 ans, ex-directrice commerciale, aujourd’hui coach en reconversion professionnelle pour cadres quinquas, ou Michel, 72 ans, qui anime depuis sa maison d’Anjou une émission hebdomadaire sur une web-radio associative.

Dans un reportage de France Télévisions (2023) consacré aux nouveaux métiers du numérique pour les seniors, plus de la moitié des interviewés mettaient en avant le besoin de lien social et de stimulation intellectuelle, bien avant la question financière. Ce sont aussi des profils très variés : de l’ancien ingénieur consultant dans sa spécialité à l’ancienne institutrice donnant des cours de français à distance à des adultes étrangers.

Une évolution notable, remarqué aussi par le sociologue Serge Guérin : “Le télétravail pour les seniors, c’est non seulement un prolongement d’utilité, mais aussi un formidable laboratoire d’adaptation numérique, qui challenge nombre de clichés sur la vieillesse.” (The Conversation).

Les principaux freins et inégalités : numérique, mais pas pour tous

Si le potentiel est grand, il serait naïf de croire que le télétravail numérique est accessible à l’ensemble des retraités. Voici les obstacles principaux, souvent relevés par les associations et institutions :

  • L’accès aux équipements et une connexion de qualité : En 2023, 18% des plus de 65 ans n’ont toujours pas de connexion internet haut débit à domicile.
  • La fracture numérique générationnelle : Même si l’usage augmente, l’autonomie sur certains outils reste un sujet pour 1 senior sur 4 selon la CNAV.
  • Freins psychologiques : Craintes face à la sécurité, au démarchage, ou à la surcharge d’informations.
  • L’absence d’accompagnement et de formation : Beaucoup citent le manque de soutien pour se lancer dans une activité en ligne ou télétravaillée.

De multiples initiatives publiques et associatives sont en place : programme “Les Bons Clics” (Emmaüs Connect), ateliers numériques de la Poste, missions locales Silver Geek... Les collectivités expérimentent aussi des plateformes de formation au télétravail orientées “silver économie”, pour réduire ces écarts d’accès.

Impacts sociaux : travailler “à distance” ne veut pas dire s’isoler

Travailler en ligne peut indéniablement amplifier l’isolement : 13% des retraités actifs interrogés par la Fondation de France déclaraient regretter la rareté des échanges “non virtuels”. Pourtant, nombreuses sont les expériences qui montrent la capacité du numérique à maintenir, voire enrichir, la vie sociale :

  1. Visioconférences conviviales : clubs de lecture, réunions associatives, cafés seniors en ligne.
  2. Coworking virtuel ou tiers-lieux : espaces de travail partagés associant présence physique et distancielle, nombreux dans les zones rurales ou périurbaines.
  3. Engagement dans des causes nationales ou internationales : bénévolat à distance pour solidarité internationale ou soutien scolaire en ligne.

Loin de condamner à l’isolement, le télétravail et le numérique, s’ils sont bien encadrés, peuvent générer de nouveaux cercles d’échanges et de solidarité, y compris au-delà des frontières.

Perspectives : encore bien des barrières à lever, mais une dynamique engagée

Le télétravail et le numérique ne sont pas des solutions magiques : ils demandent un accompagnement, une adaptation des outils et une vigilance face aux risques (cybersécurité, usurpation d’identité). Pour autant, le mouvement est engagé, et pourrait s’amplifier à mesure que les générations familiarisées avec le digital arriveront à la retraite.

La silver economy, aujourd’hui valorisée en France à près de 140 milliards d’euros par an (source : ministère de l’Économie), s’organise pour intégrer les seniors dans la transformation numérique de l’emploi et du bénévolat. Les dispositifs d’accompagnement, les plateformes d’emploi à distance et le développement de formations dédiées sont aujourd’hui les leviers principaux d’une ouverture croissante des possibilités grâce au numérique.

Les années à venir verront sans doute émerger de nouveaux modèles hybrides, à la croisée de la transmission de savoirs et de la création d’activités. De quoi rêver une retraite décidément active et connectée !

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